Chronique

La folie des primeurs

C’est ce moment de l’année, où on a tous hâte de manger frais et croquant. 

Pour les maraîchers, le printemps rime avec course acharnée, où toutes les tâches doivent s’accomplir en même temps, et où de petits détails peuvent faire toute la différence entre une récolte hâtive ou un légume qui arrive 1 semaine en retard.  

C’est ce que nous appelons chez nous « la folie des primeurs ». 

La primeur, qu’est-ce que c’est?

La primeur est ni plus ni moins les premières récoltes d’un produit de saison dans un secteur donné. Cela ne dure jamais longtemps, et c’est souvent une question de jours avant que l’abondance du produit à tous les points de vente mette fin à cette période de primeur. 

Qu’est que cela implique produire une primeur?

Cela nécessite de prendre des risques météorologiques, d’investir dans des équipements et des infrastructures, et d’appliquer des techniques de culture qui souvent nécessitent plus de temps et de connaissances.  

Trouver le parfait équilibre des risques calculés, avec une rentabilité justifiant l’effort, cela implique plusieurs essais et erreurs. Et comme pour une grande partie des tâches agricoles, nous avons droit à un seul essai par année. 

Sur notre ferme, outre la serre, les primeurs reposent principalement sur les tunnels chenilles, qui sont souvent déployés avant la fonte des neiges augmentant ainsi les risques d’effondrement en cas de précipitation de neige ou de verglas.  

Nous utilisons également différentes techniques de toile et de bâche pour réchauffer le sol, ou pour protéger les cultures du gel.  

Des techniques d’irrigation peuvent également être utilisées pour diminuer les impacts des gels printaniers.  

Tenter de gagner quelques jours en hâtivité implique également de démarrer certaines cultures en plateaux pour les transplanter au champ. Cette étape, bien qu’elle permette de mieux contrôler la germination des semences, requiert plus de manipulations. Cela créer également un véritable engorgement dans la pépinière sur une très courte période générant ainsi un véritable casse-tête de plateaux. 

Malgré cela, toute technique a ses limites et souvent Dame Nature nous rappelle que c’est elle qui fixe les règles. Chaque année, une culture ou une autre rencontre un problème qui diminue nos rendements, ou nous demande d’investir plus d’efforts ou de ressources pour sauver in extrémis la primeur. 

Si faire des primeurs était facile, dites-vous que vous auriez vos fruits et légumes beaucoup plus tôt en saison. 

Pourquoi se donner tant de mal?

Pour 5 raisons : 

  • C’est un défi qui nous amuse. À chacun ses petites folies pour mettre du piquant dans sa vie! 
  • C’est toujours en primeur que la demande est la plus forte, et donc qu’on a le potentiel de vendre le plus d’unité à l’heure dans un marché public, dans un kiosque fermier ou dans une épicerie. C’est simple, la primeur est un achat impulsif, et demande peu d’effort de vente. 
  • La primeur est un produit d’appel. Elle attire les clients à notre point de vente, qui souvent en profitent pour acheter un ou deux produits de plus. 
  • La primeur fidélise la clientèle dès le début de la saison. Il est fréquent qu’un client qui a pris l’habitude d’acheter un produit chez nous continue de venir nous voir pour ce même produit lorsque l’offre augmentera dans les autres points de vente. 
  • La primeur peut se vendre à un prix plus intéressant pour le maraîcher. En fait elle doit nécessairement se vendre un peu plus cher, car elle a nécessité plus d’investissements et de risques. Mais comme la demande est beaucoup plus grande que l’offre, le maraîcher peut toucher une marge plus intéressante, qui souvent compense pour la maigre marge qu’il pourrait faire pour le même produit en fin de saison. 

 

Notre primeur favorite?

C’est presque impossible à choisir, car nous avons follement hâte de manger chacune de ces primeurs. Mais s’il faut absolument une sélectionner une, cela serait la première que nous semons en tunnel, soit le haricot jaune. Il inaugure chaque année le début de nos travaux en champs, vers la mi-avril. Et c’est toujours un étrange rituel réconfortant que de les border de ces grandes couvertures blanches avant chaque nuit fraîche. 

Madeleine Olivier

Madeleine Olivier

Chroniqueuse